Quelques extraits Abonnez vous à mediapart
Une recette de pâtes peut-elle être le signe d’une menace totalitaire qui plane sur la civilisation occidentale ? Lorsque la marque Barilla a fait la promotion de sa version « inclusive » des pâtes à la carbonara, destinée aux papilles végétariennes ou respectant des interdits religieux, Mathieu Bock-Côté a en tout cas jugé important d’y consacrer un éditorial de plusieurs minutes sur un plateau de CNew
Ce qui empêche de dormir Mathieu Bock-Côté n’est en effet ni la catastrophe écologique, ni les inégalités abyssales du capitalisme contemporain, mais une « immigration massive » qui serait hors de contrôle, voire favorisée par « les élites ».
« C’est l’islam qui arrive, pas la religion qui revient », a-t-il asséné en analysant le port de l’abaya comme un « acte de sécession […] le refus de la légitimité de la préséance de la culture française ». Et si l’islam arrive, a-t-il précisé pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur le fond du problème, ce n’est « pas par conversion massive de la population historique, mais transposition de populations musulmanes non sécularisées ».
Une prudence dont il fait également preuve dans son pays d’origine, le Canada, où il a percé dans le débat public québécois bien avant de traverser l’Atlantique. « Il connaît les conventions d’usage et n’a jamais dit la phrase de trop, remarque Jean-Pierre Couture, professeur à l’université d’Ottawa. Au Québec, où les syndicats et le mouvement féministe sont très puissants, il n’a par exemple jamais attaqué frontalement les premiers, ni ne s’est prononcé contre l’avortement. Mais il joue avec les limites, en procédant par euphémisation. »
Ainsi, alors qu’Éric Zemmour a repris à son compte l’expression complotiste et raciste de « grand remplacement », Mathieu Bock-Côté n’est pas allé jusqu’à se l’approprier, sans non plus la désavouer sur le fond. Et pour cause : au mois d’avril, dans un entretien filmé au Figaro, il estimait que « si les choses se déroulent comme elles se déroulent en ce moment, à la fin du siècle, les peuples historiques européens seront minoritaires dans leur propre pays ». Le Vieux Continent risquerait, selon sa formule, de « devenir étranger à lui-même ».
Quand Mathieu Bock-Côté émerge au sein de la sphère nationaliste québécoise, entre la fin des années 1990 et le début des années 2000, il est actif mais plutôt minoritaire. Jeune militant au Bloc québécois (le parti souverainiste au niveau fédéral), il est exclu pour avoir cité dans un rapport une phrase de Charles Maurras (1868-1952), chef du mouvement monarchiste et d’extrême droite l’Action française. Depuis les années 1960, c’est en effet un nationalisme civique qui a sous-tendu la quête d’indépendance, ce qui s’accommode mal avec une telle référence.
Jean-Yves Pranchère, professeur de théorie politique à l’Université libre de Bruxelles, décèle ainsi chez Bock-Côté « une sorte de conservatisme de guerre froide appliqué dans un contexte où ça n’a aucun sens, car il n’y a pas d’ennemi totalitaire, d’où la nécessité de le construire. Il présente les pathologies militantes de gauche comme des monstruosités, mais il ne dit rien de la montée des autoritarismes, des menaces dues aux groupes d’extrême droite, de la censure anti-woke exercée par des pouvoirs politiques… La distorsion du réel est stupéfiante ». « Chez Aron, poursuit-il, l’enjeu était de défendre le pluralisme et la liberté de mouvement. On ne retrouve pas de tels engagements chez Bock-Côté, qui promeut surtout une homogénéité culturelle de la nation, tout en s’insurgeant contre une supposée inflation des droits, et contre toute remise en cause des stéréotypes de genre. Et puis chez Aron, le travail était fouillé, les auteurs lus de près. Bock-Côté préfère construire un monstre de paille, en ne citant que très peu de faits ou de statistiques significatives. »
Les pâtes Barilla c’est quand même de la vaste connerie. Les Italiens s’émeuvent depuis des lustres des carbonara “à la française”, ça n’a jamais empêché personne de dormir de ce côté-ci des Alpes